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première version
LA LUXURE, criant :

On assassine pour moi. On trahit et l’on se tue. Je bouleverse la vie, je fais hurler les lions et bourdonner les mouches ; je fais voler les aigles et bondir les singes ; et les couches humaines craquent sous les baisers, les métaux bouillonnent, les étoiles palpitent !… Viens ! viens ! ma sève te ruissellera dans l’âme comme un fleuve de joie.

LA MORT, d’une voix caressante.

Mais je suis douce, moi. J’ai dénoué tous les esclavages, j’ai fini toutes les tristesses ! Est-ce mon sépulcre qui t’épouvante ? il se dissoudra comme tes os !… Est-ce ma solitude noire ? tu seras dans la compagnie de la pourriture universelle !

ANTOINE

Oh ! tais-toi ! tais-toi ! Chacune de tes paroles, comme des coups de catapulte, fait crouler mon orgueil. Le néant des choses vécues m’écrase !

LA MORT

Je tressaille sous la terre et j’engloutis les villes. Je me couche sur les flots et je renverse les navires ; le vent de mon linceul dans les cieux fait tomber les étoiles, et je marche derrière