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première version

doigts !… et puis tu resteras tout étendu… tu ne sentiras plus rien… Tu ne seras plus rien !

ANTOINE, immobile, blême et claquant des dents.

Laquelle suivre ?…

J’ai comme un besoin de vomir la vie, — et cependant je halète d’un appétit désordonné ! La chaleur, ô Luxure, qui s’exhale de ta poitrine m’enflamme la joue : et ton haleine, ô Mort, me fait froid dans les cheveux.

Et la Mort et la Luxure se mettent à marcher devant saint Antoine régulièrement, comme des chantres dans les églises : — et elles psalmodient :
LA LUXURE

C’est ma grande voix qui fait le murmure des capitales, et le battement de mon cœur n’est que la palpitation du genre humain.

LA MORT

La série continue des choses forme le tourbillon du néant et tout le tapage du monde n’est que le claquement de ma mâchoire.

LA LUXURE

Je mets du vertige au bord des obscénités, une joie dans les morsures, de l’attraction même sous les dégoûts.