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première version

la Nature par chaque convoitise de ton être et roule-toi tout amoureux sur sa vaste poitrine.

Antoine soupire, elle reprend :

Tu n’as jamais senti dans ta chair comme l’orgueil d’un dieu qui rugissait, ni l’infini te submerger sous l’envahissement d’une caresse.

LE COCHON hurle tout à coup.

Je veux des femelles enragées de rut ! du fumier gras ! de la fange jusqu’aux oreilles ! Je m’ennuie, je m’échapperai, je galoperai sur les feuilles sèches, avec les sangliers et les ours !

ANTOINE

Ah ! mon cœur se fond à l’imagination des félicités.

LA MORT

Goûte-les ! et tu verras au fond de la coupe vide l’éternelle grimace de ma tête de mort.

Ne sens-tu pas ton âme remplie de vapeurs nauséabondes qui s’élèvent, comme les fumées d’un cratère ? Le vent les roule et il n’y paraît plus. Ton désespoir ne dure pas. Le soleil, en passant, te sèche les larmes sur la figure. Tes résolutions, tes convoitises, ta vertu, ton ennui, tout s’effiloque à ras de terre, comme le bord de mon linceul. J’en