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première version
ANTOINE

Comment ?… hâh !

Il retombe en bâillant, et il reste les paupières grandes ouvertes à contempler, d’un air stupide, les décombres de la chapelle.

Tiens, le cochon ! je le croyais mort !… pourquoi cela ?… je ne sais !… mon cœur ne bat plus ! Il me semble que je suis comme ces pierres, ou plutôt comme une citerne vide, avec des ronces tout autour… et au fond une grande tache noire.

D’où viens-je ?… où ai-je été ?

Quand je chercherais, que je me fatiguerais, puisque je ne peux pas ! puisque c’est plus fort que ma force !

Il pleure.

Je ne comprends rien à tout cela, moi !

La silhouette du Diable réapparaît.

Si je priais ? mais j’ai déjà tant prié ! Si je travaillais plutôt… Ah ! il faudrait rallumer la lanterne ! Non ! non !… Oh ! que je m’ennuie ! je voudrais faire quelque chose et je ne sais quoi ! je voudrais aller quelque part et je ne sais où ! Je ne sais pas ce que je veux ! je ne sais pas ce que je pense ! je n’ai même plus la force de désirer vouloir !

Un brouillard gras tombe ; les soies du cochon frissonnent.