Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/213

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
première version

son cœur et gonfle les veines de ses pieds. Le souffle de Dieu circule parmi les mondes, et les contingences de ces mondes, comme les gouttes de ton sang, sont toutes pareilles en tant que parties du même tout, formées elles-mêmes d’autres particules et ainsi de suite et toujours. La bouffée d’air qui passe maintenant par tes narines, est le résultat complexe de mille créations disparues. La pensée qui te survient, a été conduite jusqu’à toi par des voyages dans l’espace, plus longs que n’est distante de tes yeux la dernière de ces étoiles. Ce que chaque homme a songé, depuis qu’il existe des hommes, y a contribué pour quelque chose, et toute la matière, tout l’esprit, tout ce qui a paru, tout ce qui est, fini, infini, forme et idée, se lient, se confondent, s’engendrent.

N’y a-t-il pas des choses inertes qui sont comme animales, des âmes végétatives, des statues qui rêvent et des paysages qui pensent ?… Un rythme mystérieux pousse à la danse éternelle tous les atomes remués, — les corps, à travers leur existence et leur trépas, ne faisant que poursuivre leur rentrée dans la poussière, d’où ils sont sortis, l’âme avec ses extensions sans fin, n’aspirant qu’à retourner en Dieu d’où elle est venue.

ANTOINE

Oh ! c’est donc pour cela que j’ai souvent des envies d’être mort, et que je cherche à me rappeler si je n’ai pas vécu dans d’autres mondes.