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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

à droite, à gauche, en avant, en arrière… tiens ! tiens !

Le Martichoras jette les épines de sa queue qui se succèdent en fusées. Antoine, immobile, au milieu des animaux, reste à écouter toutes ces voix et à regarder toutes ces formes.
LE CATOBLÉPAS, buffle noir, avec une tête de pourceau tombant jusqu’à terre et rattachée à ses épaules par un cou mince, long et flasque comme un boyau vidé. Il est vautré tout à fait et ses pieds disparaissent sous l’énorme crinière à poils durs qui lui couvre le visage.

Gras, mélancolique, farouche, je reste ainsi continuellement, à sentir sous mon ventre la chaleur de la terre.

Mon crâne est tellement lourd qu’il m’est impossible de le porter, je le roule autour de moi, lentement, et, la mâchoire entr’ouverte, j’arrache avec ma langue des herbes vénéneuses arrosées de mon haleine. Une fois même je me suis dévoré les pattes, sans m’en apercevoir.

Personne, Antoine, n’a jamais vu mes yeux, ou ceux qui les ont vus sont morts. Si je relevais mes paupières, mes paupières roses et gonflées, tout de suite tu mourrais.

ANTOINE

Oh ! oh !… celui-là… a… a !

Eh bien !… si j’allais avoir envie de les regarder, ces yeux ? mais oui, sa stupidité féroce m’attire !