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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

couleur de neige, et la corne de mon front est blanche par le bas, noire au milieu, rouge au bout.

Je voyage de la Chaldée au désert Tartare, sur les bords du Gange et dans la Mésopotamie. Je dépasse les autruches ; je cours si vite que je traîne le vent.

Je frotte mon dos contre les palmiers, je me roule dans les bambous. D’un bond je saute les fleuves, — et quand je passe par Persépolis, je m’amuse à casser, avec ma corne, la figure des rois qui sont sculptés sur la montagne.

LE GRIFFON, lion à bec d’aigle, garni d’ailes blanches, avec le corps noir et le cou bleu.

Moi, je sais les cavernes où ils dorment, les vieux rois ! Ils sont assis sur leur trône, couronnés de la tiare et vêtus d’un manteau rouge ; — une chaîne qui sort de la muraille leur tient la tête droite et leur sceptre d’émeraude est posé sur leurs genoux. Près d’eux, dans des bassins de phorphyre, des femmes qu’ils ont aimées flottent avec leur robe blanche, sur des liquides noirs. Leurs trésors sont rangés dans des salles, par losanges, par tas, par pyramides. Il y a des lingots plus longs que des mâts de navires, des cages pleines de diamants, des soleils en escarboucles.

Debout sur les collines chenues, la croupe adossée contre la porte du souterrain, et la griffe en l’air, j’épie de mes prunelles flamboyantes ceux