Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

Et la voix des chiens m’arrivait avec le bruit des torrents et le murmure du feuillage.

Deux lévriers accouplés passent leurs museaux par les

branches, tout en tirant sur la corde que retient du doigt une jeune femme court-vêtue. Elle marche vite en regardant derrière elle. Un petit carquois lui bat sur le dos. La fraîcheur du matin a rendu rose sa figure ovale couronnée de cheveux bruns humides.

Elle jette sur le gazon ses flèches et son arc, attache à un troëne ses chiens qu’elle apaise, et, s’appuyant sur une seule jambe, se met à défaire le lacet de sa chaussure crétoise.

Des fluides de feu me courent sous la chair, — des envies de vivre me prennent. Tout mon être rugit ! J’ai faim, j’ai soif !…

Antoine s’avance. D’autres femmes accourent. Elles retirent leurs vêtements qu’elles accrochent aux branches des arbres. Elles frissonnent, entrent dans l’eau, la tâtent avec le pied, s’en jettent au visage. Elles rient, — il rit. Elles se penchent, — Antoine se penche.

Ah ! ah ! ah ! vive la gaîté ! Je barbotte, je bois, je suis heureux ! Il ne me manque qu’une table bien servie !…

Alors se découvre sous un ciel noir une salle immense, éclairée par des candélabres d’or.


Des socles de porphyre, supportant des colonnes à demi perdues dans l’ombre, tant elles sont hautes, vont s’alignant à la file, en dehors des tables, qui se prolongent jusqu’à l’horizon, où apparaissent, dans une vapeur lumineuse,

des architectures énormes, pyramides, coupoles, escaliers, perrons, — des arcades avec des colonnades et des obélisques sur des dômes. Entre les lits de