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première version

Il faudrait… que je puisse fixer mon attention sur quelque chose d’inébranlable et qu’elle n’en bougeât pas ; — mais sur quoi ?… Ah ! si j’essayais de lire cette vieille Bible que l’ermite Paul, en mourant, m’a donnée !

Il va dans sa cabane, en rapporte un livre, s’asseoit sur le banc, feuillette tout au hasard, puis il lit :

« … après s’être consolé de cette perte, alla à Thamnas avec Hiras d’Odolla, le pasteur de ses troupeaux… »

Ah !… cela me fait du bien… ma tête se dégage ! « … pour voir ceux qui tondaient ses brebis… »

Un bêlement part de l’horizon.

C’est comme si j’y étais… et même il me semble qu’au loin…

Une lueur ardente poudroie dans l’atmosphère ; les terrains se haussent, et le sable tout doucement disparaît sous l’herbe.

« Thamar ayant été avertie que Judas, son beau-père, allait à Thamnas… »

De grandes montagnes découpent dans un ciel violet leurs pics bleus escalopés. Il y a des tentes sur les collines, avec des troupeaux de moutons noirs. On entend crier des pasteurs ; les clochettes tintent.


Et, continuant à lire, Antoine voit en face de lui deux chemins qui s’entre-croisent.

Une femme vient s’asseoir au bord. Ses prunelles brillent dans la fente de son voile blanc qui lui passe