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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

parti !… Pense-t-elle à moi toujours ?… Vit-elle encore ?… Elle doit être bien vieille… bien vieille !…

Et, clignant des yeux vers l’horizon, il aperçoit tout au loin, au milieu des sables, de petites cabanes en terre grise sous un bouquet de palmiers dont les rameaux se balancent. Des chiens se traînent sur les seuils déserts, un troupeau de buffles passe et même il distingue, dans les palissades de roseau sec, des poules picorant du blé, sous le ventre des ânes.


Mais UNE VIEILLE FEMME, qui file au fuseau, sort de sa maison en regardant d’un air inquiet. — Elle est toute courbée, ridée, maigre, couverte de haillons, et, de temps à autre, pour essuyer ses paupières rouges, elle prend à pleines mains les longs cheveux qui lui pendent sur les épaules, plus blancs et pêle-mêle que le lin de sa quenouille, et elle murmure :

Les publicains ont tout enlevé !… Je suis malade… Je vais mourir… Où est-il donc ?

ANTOINE

Me voilà, mère ! c’est moi ! c’est moi ! je reviens !

Et, courant les bras étendus, il se heurte contre la roche

et s’y ensanglante le visage. — Il regarde autour de lui. La lampe brûle, le cochon sommeille, les bribes des paniers, par terre, se soulèvent au vent.

Il pleure.

Ah ! je suis blessé !… je souffre !… Je n’ai pourtant jamais fait de mal à personne, moi ! D’où vient tout cela ? pourquoi donc ?

Silence. Il reprend :