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LA TENTATION DE SAINT ANTOINE

Mais j’ai envie de rire maintenant. — Ha ! ha ! ha !… Je sens comme si des mains me chatouillaient tout le corps… déchirons-le ! Oh là ! ho ! Mes nerfs se rompent !… Eh hien ?…

Il s’arrête.

C’est peut-être l’extase qui atténue les souffrances de la chair ? je veux l’en écraser ! Pas de grâce pour elle ! va !

Il se fustige avec frénésie. Le Diable, placé par derrière, lui a pris le bras et le fait aller d’un mouvement furieux.

Malgré moi, mon bras continue ! Qui me pousse ?… Quels supplices ! quelles délice ? ! Je n’en puis plus ! mon être se fond… je meurs.

Il s’évanouit et il croit voir :


Une rue avec des platanes en fleurs ; à gauche dans l’angle, une petite maison dont la porte entr’ouverte laisse apercevoir une cour bordée de colonnes doriques, supportant les logements du premier étage ; — l’on distingue, entre les colonnes, d’autres portes couvertes d’une laque bleue et rehaussées par des marquetteries en cuivre.

Au milieu de la cour, à genoux, une femme, en tunique jaune, emplit des corbeilles et des boîtes. Debout, près d’elle, appuyée contre une colonne et la regardant faire, se tient une autre femme, tout en blanc ; son vêtement, fixé sur les épaules par une agrafe d’or, pend à grands plis droits, et le bout de ses pieds nus dépasse dans des sandales découvertes. Deux larges nattes blondes, tressées en losanges symétriques, s’évasent sur les oreilles et vont s’attacher par derrière à un tortis de perles fines d’où retombe en petites boucles tout le reste de sa chevelure.