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la tentation de saint antoine
LA SCIENCE

Non !… Comme les astres qu’elle contemple, ma pensée va toujours d’elle-même, accomplissant son irrésistible voyage, et nous décrivons ensemble dans les cieux de gigantesques paraboles.

LA LUXURE

Veux-tu venir avec moi ?

LA SCIENCE

Non ! je t’ai harassée d’ardeurs inquisitives, j’ai vu suer ton fard sous les efforts que tu faisais pour avoir du plaisir.

Ô Luxure, tu circules en liberté, belle et levant la tête. À tous les carrefours de l’âme, on retrouve ta chanson, et tu passes au bout des idées, comme la courtisane au bout des rues. Mais tu ne dis pas les ulcères qui rongent ton cœur, ni l’immense ennui qui suppure de l’amour !

Va-t’en ! va-t’en ! je suis las de ton visage.

J’aime mieux les fucus au flanc des falaises que tes cheveux dénoués ! J’aime mieux le clair de lune s’allongeant dans les ondes que ton regard éperdu se noyant dans la tendresse. J’aime mieux le marbre, la couleur, l’insecte et le caillou ! J’aime mieux ma solitude que ta maison et mon désespoir que tes chagrins.