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la tentation de saint antoine
ANTOINE

Oh ! oui ! oui ! mon corps me gêne ! Il m’écrase ! il m’étouffe !

LES VALÉRIENS, très grands, très maigres, avec un poignard à la ceinture, une couronne d’épines sur le front. Ils prennent leur poignard d’une main, leur couronne de l’autre : — et ils disent :

Voilà qui tranche la luxure ! Voici qui endolorit l’orgueil. Est-ce la douleur que tu crains, lâche ? Est-ce la peur de ta chair, hypocrite ? Tu te couches près d’elle, tu la regardes dormir ; elle se réveillera plus dévorante que les lions. Étouffe-la donc, coupe-la donc, extermine-la !

ANTOINE

Ah ! une haine me prend contre moi ! j’exècre la vie, la terre et le soleil !

Des cris féroces éclatent et LES DONATISTES GIRCON-CELLIONS apparaissent, sales, hideux, vêtus de peaux de chèvres et portant des massues de fer sur l’épaule.

Malédiction sur le monde ! malédiction sur nous-mêmes ! maudit l’homme, maudite la femme, maudit l’enfant ! Écrasez le fruit, troublez la source.

Pillez le riche qui se trouve heureux, qui mange beaucoup ; battez le pauvre qui envie la housse de l’âne, le repas du chien, le nid de l’oiseau, et qui