Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
II
préface

été empêché par des raisons qui n’ont rien de littéraire et que nous allons expliquer. La version de 1874, — la seule connue du public et, d’ailleurs, si différente de l’autre, dans sa forme comme dans son esprit, — cette version n’aurait jamais vu le jour, si Flaubert avait cru possible de risquer la publication du Saint Antoine, après le scandale de son premier roman.

Pour bien saisir les raisons qui l’ont déterminé, il est nécessaire de reprendre les choses d’un peu haut et d’esquisser rapidement l’historique de la Tentation.

Tout le monde sait que l’idée en fut suggérée à Flaubert par un tableau de Breughel qui se trouve encore aujourd’hui à Gênes, au palais Balbi. Le tableau est assez médiocre, si l’on en juge par ces notes datées de Milan, que nous avons eu la bonne fortune de retrouver dans son album de voyage (Avril-Mai 1845) :


Au fond, des deux côtés, sur chacune des collines, deux têtes monstrueuses de diables, moitié vivants, moitié montagnes. Au bas, à gauche, saint Antoine entre trois femmes, et détournant la tête, pour éviter leurs caresses. Elles sont nues, blanches, elles sourient et vont l’envelopper de leurs bras. En face du spectateur, tout à fait au bas du tableau, la Gourmandise, nue jusqu’à la ceinture, maigre, la tête ornée d’ornements rouges et verts, figure triste, cou démesurément long