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cun de ses ongles, il se délectait à écouter le sifflement de sa robe de soie quand elle passait auprès des portes, il humait en cachette la senteur de son mouchoir ; son peigne, ses gants, ses bagues étaient pour lui des choses particulières, importantes comme des œuvres d’art, presque animées comme des personnes ; toutes lui prenaient le cœur et augmentaient sa passion.

Il n’avait pas eu la force de la cacher à Deslauriers. Quand il revenait de chez Mme Arnoux, il le réveillait comme par mégarde, afin de pouvoir causer d’elle.

Deslauriers, qui couchait dans le cabinet au bois, près de la fontaine, poussait un long bâillement. Frédéric s’asseyait au pied de son lit. D’abord il parlait du dîner, puis il racontait mille détails insignifiants, où il voyait des marques de mépris ou d’affection. Une fois, par exemple, elle avait refusé son bras, pour prendre celui de Dittmer, et Frédéric se désolait.

— « Ah ! quelle bêtise ! »

Ou bien elle l’avait appelé son « ami ».

— « Vas-y gaiement, alors ! »

— « Mais je n’ose pas », disait Frédéric.

— « Eh bien, n’y pense plus Bonsoir. »

Deslauriers se retournait vers la ruelle et s’endormait. Il ne comprenait rien à cet amour, qu’il regardait comme une dernière faiblesse d’adolescence ; et, son intimité ne lui suffisant plus, sans doute, il imagina de réunir leurs amis communs une fois la semaine.

Ils arrivaient le samedi, vers neuf heures. Les trois rideaux d’algérienne étaient soigneusement tirés ; la lampe et quatre bougies brûlaient ; au milieu de la table, le pot à tabac, tout plein de pipes, s’étalait entre les bouteilles de bière, la théière, un flacon de rhum et des petits fours. On discutait sur l’immortalité de l’âme, on faisait des parallèles entre les professeurs.

Hussonnet, un soir, introduisit un grand jeune homme habillé d’une redingote trop courte des poi-