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— « Que je crève, si j’y retourne ! C’est une brute, un bourgeois, un misérable, un drôle ! »

Ces injures flattaient la colère de Frédéric. Il en était blessé cependant, car il lui semblait qu’elles atteignaient un peu Mme Arnoux.

— « Qu’est-ce donc qu’il vous a fait ! » dit Regimbart.

Pellerin battit le sol avec son pied, et souffla fortement, au lieu de répondre.

Il se livrait à des travaux clandestins, tels que portraits aux deux crayons ou pastiches de grands maîtres pour les amateurs peu éclairés ; et, comme ces travaux l’humiliaient, il préférait se taire, généralement. Mais « la crasse d’Arnoux » l’exaspérait trop. Il se soulagea.

D’après une commande, dont Frédéric avait été le témoin, il lui avait apporté deux tableaux. Le marchand, alors, s’était permis des critiques ! Il avait blâmé la composition, la couleur et le dessin, le dessin surtout, bref, à aucun prix n’en avait voulu. Mais, forcé par l’échéance dure billet, Pellerin les avait cédés au juif Isaac ; et, quinze jours plus tard, Arnoux, lui-même les vendait à un Espagnol, pour deux mille francs.

— « Pas un sou de moins ! Quelle gredinerie ! et il en fait bien d’autres, parbleu ! Nous le verrons, un de ces matins, en cour d’assises. »

— « Comme vous exagérez ! » dit Frédéric d’une voix timide.

— « Allons ! bon ! j’exagère ! » s’écria l’artiste, en donnant sur la table un grand coup de poing.

Cette violence rendit au jeune homme tout son aplomb. Sans doute, on pouvait se conduire plus gentiment ; cependant, si Arnoux trouvait ces deux toiles…

— « Mauvaises ! lâchez le mot ! Les connaissez-vous ? Est-ce votre métier ? Or, vous savez, mon petit, moi, je n’admets pas cela, les amateurs ! »

— « Eh ! ce ne sont pas mes affaires ! » dit Frédéric.