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Allons, allons, messieurs, neuf cent trente ! Y a-t-il marchand à neuf cent trente ? »

Mme Dambreuse, qui était arrivée sur le seuil, s’arrêta ; et, d’une voix haute :

— « Mille francs ! »

Il y eut un frisson dans le public, un silence.

— « Mille francs, messieurs, mille francs Personne ne dit rien ? bien vu ? mille francs Adjugé » Le marteau d’ivoire s’abattit.

Elle fit passer sa carte, on lui envoya le coffret. Elle le plongea dans son manchon.

Frédéric sentit un grand froid lui traverser le cœur.

Mme Dambreuse n’avait pas quitté son bras ; et elle n’osa le regarder en face jusque dans la rue, où l’attendait sa voiture.

Elle s’y jeta comme un voleur qui s’échappe, et, quand elle fut assise, se retourna vers Frédéric. Il avait son chapeau à la main.

— « Vous ne montez pas ? »

— « Non, madame ! »

Et, la saluant froidement, il ferma la portière, puis fit signe au cocher de partir.

Il éprouva d’abord un sentiment de joie et d’indépendance reconquise. Il était fier d’avoir vengé Mme Arnoux en lui sacrifiant une fortune ; puis il fut étonné de son action, et une courbature infinie l’accabla.

Le lendemain matin, son domestique lui apprit les nouvelles. L’état de siège était décrété, l’Assemblée dissoute, et une partie des représentants du peuple à Mazas. Les affaires publiques le laissèrent indifférent, tant il était préoccupé des siennes.

Il écrivit à des fournisseurs pour décommander plusieurs emplettes relatives à son mariage, qui lui apparaissait maintenant comme une spéculation un peu ignoble, et il exécrait Mme Dambreuse parce qu’il avait manqué, à cause d’elle, commettre une bassesse.