Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/491

Cette page n’a pas encore été corrigée


Elle désirait le faire embaumer. Bien des raisons s’y opposaient. La meilleure, selon Frédéric, c’est que la chose était impraticable sur des enfants si jeunes. Un portrait valait mieux. Elle adopta cette idée. Il écrivit un mot à Pellerin, et Delphine courut le porter.

Pellerin arriva promptement, voulant effacer par ce zèle tout souvenir de sa conduite. Il dit d’abord :

— « Pauvre petit ange ! Ah ! mon Dieu, quel malheur ! »

Mais, peu à peu (l’artiste en lui l’emportant), il déclara qu’on ne pouvait rien faire avec ces yeux bistrés, cette face livide, que c’était une véritable nature morte, qu’il faudrait beaucoup de talent ; et il murmurait :

— « Oh ! pas commode, pas commode ! »

— « Pourvu que ce soit ressemblant », objecta Rosanette.

— « Eh ! je me moque de la ressemblance ! À bas le Réalisme ! C’est l’esprit qu’on peint ! Laissez-moi ! Je vais tâcher de me figurer ce que ça devait être. »

Il réfléchit, le front dans la main gauche, le coude dans la droite ; puis, tout à coup :

— « Ah ! une idée ! un pastel ! Avec des demi-teintes colorées, passées presque à plat, on peut obtenir un beau modelé, sur les bords seulement. »

Il envoya la femme de chambre chercher sa boîte ; puis, ayant une chaise sous les pieds et une autre près de lui, il commença à jeter de grands traits, aussi calme que s’il eût travaillé d’après la bosse. Il vantait les petits saint Jean de Corrège, l’infante Rose de Velasquez, les chairs lactées de Reynolds, la distinction de Lawrence, et surtout l’enfant aux longs cheveux qui est sur les genoux de lady Gower.

— « D’ailleurs, peut-on trouver rien de plus charmant que ces crapauds-là ! Le type du sublime (Raphaël l’a prouvé par ses madones), c’est peut-être une mère avec son enfant ? »

Rosanette, qui suffoquait, sortit —, et Pellerin dit aussitôt :