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On y voyait ce jour-là, Anténor Braive, le portraitiste des rois ; Jules Burrieu, qui commençait à populariser par ses dessins les guerres d’Algérie ; le caricaturiste Sombaz, le sculpteur Vourdat, d’autres encore, et aucun ne répondait aux préjugés de l’étudiant. Leurs manières étaient simples, leurs propos libres. Le mystique Lovarias débita un conte obscène ; et l’inventeur du paysage oriental, le fameux Dittmer, portait une camisole de tricot sous son gilet, et prit l’omnibus pour s’en retourner.

Il fut d’abord question d’une nommée Apollonie, un ancien modèle que Burrieu prétendait avoir reconnue sur le boulevard, dans une daumont. Hussonnet expliqua cette métamorphose par la série de ses entreteneurs.

— « Comme ce gaillard-là connaît les filles de Paris ! » dit Arnoux.

— « Après vous, s’il en reste, sire », répliqua le bohème, avec un salut militaire, pour imiter le grenadier offrant sa gourde à Napoléon.

Puis on discuta quelques toiles, où la tête d’Apollonia avait servi. Les confrères absents furent critiqués. On s’étonnait du prix de leurs œuvres ; et tous se plaignaient de ne point gagner suffisamment, lorsque entra un homme de taille moyenne, l’habit fermé par un seul bouton, les yeux vifs, l’air un peu fou.

— « Quel tas de bourgeois vous êtes ! » dit-il. « Qu’est-ce que cela fait, miséricorde ! Les vieux qui confectionnaient des chefs-d’œuvre ne s’inquiétaient pas du million. Corrège, Murillo… »

— « Ajoutez Pellerin », dit Sombaz.

Mais sans relever l’épigramme, il continua de discourir avec tant de véhémence, qu’Arnoux fut contraint de lui répéter deux fois :

— « Ma femme a besoin de vous, jeudi. N’oubliez pas ! »

Cette parole ramena la pensée de Frédéric sur