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que mon argent n’est pas mon argent, enfin, que la propriété, c’est le vol ! »

— « Mais Proudhon… »

— « Laissez-moi tranquille, avec votre Proudhon ! S’il était là, je crois que je l’étranglerais ! »

Il l’aurait étranglé. Après les liqueurs surtout, Fumichon ne se connaissait plus ; et son visage apoplectique était près d’éclater comme un obus.

— « Bonjour, Arnoux », dit Hussonnet, qui passa lestement sur le gazon.

Il apportait à M. Dambreuse la première feuille d’une brochure intitulée l’Hydre, le bohème défendant les intérêts d’un cercle réactionnaire, et le banquier le présenta comme tel à ses hôtes.

Hussonnet les divertit, en soutenant d’abord que les marchands de suif payaient trois cent quatre-vingt-douze gamins pour crier chaque soir : « Des lampions ! » puis en blaguant les principes de 89, l’affranchissement des nègres, les orateurs de la gauche ; il se lança même jusqu’à faire Prudhomme sur une barricade, peut-être par l’effet d’une jalousie naïve contre ces bourgeois qui avaient bien dîné. La charge plut médiocrement. Leurs figures s’allongèrent.

Ce n’était pas le moment de plaisanter, du reste Nonancourt le dit, en rappelant la mort de Monseigneur Affre et celle du général Bréa. Elles étaient toujours rappelées ; on en faisait des arguments. M. Roque déclara le trépas de l’Archevêque : « tout ce qu’il y avait de plus sublime » ; Fumichon donnait la palme au militaire ; et, au lieu de déplorer simplement ces deux meurtres, on discuta pour savoir lequel devait exciter la plus forte indignation. Un second parallèle vint après, celui de Lamoricière et de Cavaignac, M. Dambreuse exaltant Cavaignac et Nonancourt Lamoricière. Personne de la compagnie, sauf Arnoux, n’avait pu les voir à l’œuvre. Tous n’en formulèrent pas moins sur leurs opérations un jugement irrévocable. Frédéric