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Après la cour du donjon et la chapelle Saint-Saturnin, ils arrivèrent dans la salle des fêtes.

Ils furent éblouis par la splendeur du plafond, divisé en compartiments octogones, rehaussé d’or et d’argent, plus ciselé qu’un bijou, et par l’abondance des peintures qui couvrent les murailles depuis la gigantesque cheminée où des croissants et des carquois entourent les armes de France, jusqu’à la tribune pour les musiciens, construite à l’autre bout, dans la largeur de la salle. Les dix fenêtres en arcades étaient grandes ouvertes ; le soleil faisait briller les peintures, le ciel bleu continuait indéfiniment l’outremer des cintres ; et, du fond des bois, dont les cimes vaporeuses emplissaient l’horizon, il semblait venir un écho des hallalis poussés dans les trompes d’ivoire, et des ballets mythologiques, assemblant sous le feuillage des princesses et des seigneurs travestis en nymphes et en sylvains, — époque de science ingénue, de passions violentes et d’art somptueux, quand l’idéal était d’emporter le monde dans un rêve des Hespérides, et que les maîtresses des rois se confondaient avec les astres. La plus belle de ces fameuses s’était fait peindre, à droite, sous la figure de Diane Chasseresse, et même en Diane Infernale, sans doute pour marquer sa puissance jusque par-delà le tombeau. Tous ces symboles confirment sa gloire ; et il reste là quelque chose d’elle, une voix indistincte, un rayonnement qui se prolonge.

Frédéric fut pris par une concupiscence rétrospective et inexprimable. Afin de distraire son désir, il se mit à considérer tendrement Rosanette, en lui demandant si elle n’aurait pas voulu être cette femme.

— « Quelle femme ? »

— « Diane de Poitiers ! »

Il répéta :

— « Diane de Poitiers, la maîtresse d’Henri II. »

Elle fit un petit : « Ah ! » Ce fut tout.