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Quelqu’un lui objecta qu’il allait loin.

— « Oui ! je vais loin ! Mais, quand un vaisseau est surpris par la tempête… »

Sans attendre la fin de la comparaison, un autre lui répondit :

— « D’accord ! mais c’est démolir d’un seul coup, comme un maçon sans discernement… »

— « Vous insultez les maçons ! » hurla un citoyen couvert de plâtre ; et, s’obstinant à croire qu’on l’avait provoqué, il vomit des injures, voulait se battre, se cramponnait à son banc. Trois hommes ne furent pas de trop pour le mettre dehors.

Cependant, l’ouvrier se tenait toujours à la tribune. Les deux secrétaires l’avertirent d’en descendre. Il protesta contre le passe-droit qu’on lui faisait.

— « Vous ne m’empêcherez pas de crier : amour éternel à notre chère France ! amour éternel aussi à la République ! »

— « Citoyens ! » dit alors Compain, « citoyens ! »

Et, à force de répéter : « Citoyens », ayant obtenu un peu de silence, il appuya sur la tribune ses deux mains rouges, pareilles à des moignons, se porta le corps en avant, et, clignant des yeux :

— « Je crois qu’il faudrait donner une plus large extension à la tête de veau. »

Tous se taisaient, croyant avoir mal entendu.

— « Oui ! la tête de veau ! »

Trois cents rires éclatèrent d’un seul coup. Le plafond trembla. Devant toutes ces faces bouleversées par la joie, Compain se reculait. Il reprit d’un ton furieux :

— « Comment ! vous ne connaissez pas la tête de veau »

Ce fut un paroxysme, un délire. On se pressait les côtes. Quelques-uns même tombaient par terre, sous les bancs. Compain n’y tenant plus, se réfugia près de Regimbart et il voulait l’entraîner.

— « Non ! je reste jusqu’au bout ! » dit le Citoyen.