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Le lendemain, à son réveil, Frédéric pensa à Deslauriers. Il courut chez lui. L’avocat venait de partir, étant nommé commissaire en province. Dans la soirée de la veille, il était parvenu jusqu’à Ledru-Rollin et, l’obsédant au nom des Ecoles, en avait arraché une place, une mission. Du reste, disait le portier, il devait écrire la semaine prochaine, pour donner son adresse.

Après quoi, Frédéric s’en alla voir la Maréchale. Elle le reçut aigrement, car elle lui en voulait de son abandon. Sa rancune s’évanouit sous des assurances de paix réitérées. Tout était tranquille, maintenant, aucune raison d’avoir peur ; il l’embrassait ; et elle se déclara pour la République, — comme avait déjà fait Monseigneur l’Archevêque de Paris, et comme devaient faire avec une prestesse de zèle merveilleuse : la Magistrature, le Conseil d’Etat, l’Institut, les Maréchaux de France, Changarnier, M. de Falloux tous les bonapartistes, tous les légitimistes, et un nombre considérable d’orléanistes.

La chute de la Monarchie avait été si prompte, que, la première stupéfaction passée, il y eut chez les bourgeois comme un étonnement de vivre encore. L’exécution sommaire de quelques voleurs, fusillés sans jugements, parut une chose très juste. On se redit, pendant un mois, la phrase de Lamartine sur le drapeau rouge, « qui n’avait fait que le tour du Champ de Mars, tandis que le drapeau tricolore », etc ; et tous se rangèrent sous son ombre, chaque parti ne voyant des trois couleurs que la sienne — et se promettant bien, dès qu’il serait le plus fort, d’arracher les deux autres.

Comme les affaires étaient suspendues, l’inquiétude et la badauderie poussaient tout le monde hors de chez soi. Le négligé des costumes atténuait la différence des rangs sociaux, la haine se cachait, les espérances s’étalaient, la foule était pleine de douceur. L’orgueil d’un droit conquis éclatait sur les visages. On avait une