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Maréchale ; une idée folle lui vint, une réaction de jeunesse. Il traversa le boulevard.

On fermait la porte cochère ; et Delphine, la femme de chambre, en train d’écrire dessus avec un charbon « Armes données », lui dit vivement :

— « Ah ! Madame est dans un bel état ! Elle a renvoyé ce matin son groom qui l’insultait. Elle croit qu’on va piller partout ! Elle crève de peur ! d’autant plus que Monsieur est parti ! »

— « Quel monsieur ? »

— « Le Prince ! »

Frédéric entra dans le boudoir. La Maréchale parut, en jupon, les cheveux sur le dos, bouleversée.

— « Ah ! merci ! tu viens me sauver ! c’est la seconde fois ! tu n’en demandes jamais le prix, toi ! »

— « Mille pardons ! » dit Frédéric, en lui saisissant la taille dans les deux mains.

— « Comment ? que fais-tu ? » balbutia la Maréchale, à la fois surprise et égayée par ces manières.

Il répondit :

— « Je suis la mode, je me réforme. »

Elle se laissa renverser sur le divan, et continuait à rire sous ses baisers.

Ils passèrent l’après-midi à regarder, de leur fenêtre, le peuple dans la rue. Puis il l’emmena dîner aux Trois Frères Provençaux. Le repas fut long, délicat. Ils s’en revinrent à pied, faute de voiture.

À la nouvelle d’un changement de ministère, Paris avait changé. Tout le monde était en joie ; des promeneurs circulaient, et des lampions à chaque étage faisaient une clarté comme en plein jour. Les soldats regagnaient lentement leurs casernes, harassés, l’air triste. On les saluait, en criant : « Vive la ligne ! » Ils continuaient sans répondre. Dans la garde nationale, au contraire, les officiers, rouges d’enthousiasme, brandissaient leur sabre en vociférant : « Vive la réforme ! » et ce mot-là, chaque fois, faisait rire les deux amants. Frédéric blaguait, était très gai.