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punch allait venir ; et on ne tarda pas à s’exalter, tous ayant contre le Pouvoir la même exaspération. Elle était violente, sans autre cause que la haine de l’injustice ; et ils mêlaient aux griefs légitimes les reproches les plus bêtes.

Le pharmacien gémit sur l’état pitoyable de notre flotte. Le courtier d’assurances ne tolérait pas les deux sentinelles du maréchal Soult. Deslauriers dénonça les jésuites, qui venaient de s’installer à Lille, publiquement. Sénécal exécrait bien plus M. Cousin ; car l’éclectisme enseignant à tirer la certitude de la raison, développait l’égoïsme, détruisait la solidarité ; le placeur de vins, comprenant peu ces matières, remarqua tout haut qu’il oubliait bien des infamies :

— « Le wagon royal de la ligne du Nord doit coûter quatre-vingt mille francs ! Qui le payera ? »

— « Oui, qui le payera ? » reprit l’employé de commerce, furieux comme si on eût puisé cet argent dans sa poche.

Il s’ensuivit des récriminations contre les loups-cerviers de la Bourse et la corruption des fonctionnaires. On devait remonter plus haut, selon Sénécal, et accuser, tout d’abord, les princes, qui ressuscitaient les mœurs de la Régence.

— « N’avez-vous pas vu, dernièrement, les amis du duc de Montpensier revenir de Vincennes, ivres sans doute, et troubler par leurs chansons les ouvriers du faubourg Saint-Antoine »

— « On a même crié : À bas les voleurs ! » dit le pharmacien. « J’y étais, j’ai crié ! »

— « Tant mieux ! le Peuple enfin se réveille depuis le procès Teste-Cubières ! »

— « Moi, ce procès-là m’a fait de la peine », dit Dussardier, « parce que ça déshonore un vieux soldat ! »

— « Savez-vous », continua Sénécal, « qu’on a découvert chez la duchesse de Praslin… ? »