toute la voie. Les crinières étaient près des crinières, les lanternes près des lanternes ; les étriers d’acier, les gourmettes d’argent, les boucles de cuivre, jetaient çà et là des points lumineux entre les culottes courtes, les gants blancs, et les fourrures qui retombaient sur le blason des portières. Il se sentait comme perdu dans un monde lointain. Ses yeux erraient sur les têtes féminines ; et de vagues ressemblances amenaient à sa mémoire Mme Arnoux. Il se la figurait, au milieu des autres, dans un de ces petits coupés, pareils au coupé de Mme Dambreuse. — Mais le soleil se couchait, et le vent froid soulevait des tourbillons de poussière. Les cochers baissaient le menton dans leurs cravates, les roues se mettaient à tourner plus vite, le macadam grinçait ; et tous les équipages descendaient au grand trot la longue avenue, en se frôlant, se dépassant, s’écartant les uns des autres, puis, sur la place de la Concorde, se dispersaient. Derrière les Tuileries, le ciel prenait la teinte des ardoises. Les arbres du jardin formaient deux masses énormes, violacées par le sommet. Les becs de gaz s’allumaient ; et la Seine, verdâtre dans toute son étendue, se déchirait en moires d’argent contre les piles des ponts.
Il allait dîner, moyennant quarante-trois sols le cachet, dans un restaurant, rue de la Harpe.
Il regardait avec dédain le vieux comptoir d’acajou, les serviettes tachées, l’argenterie crasseuse et les chapeaux suspendus contre la muraille. Ceux qui l’entouraient étaient des étudiants comme lui. Ils causaient de leurs professeurs, de leurs maîtresses. Il s’inquiétait bien des professeurs ! Est-ce qu’il avait une maîtresse ! Pour éviter leurs joies, il arrivait le plus tard possible. Des restes de nourriture couvraient toutes les tables. Les deux garçons fatigués dormaient dans des coins, et une odeur de cuisine, de quinquet et de tabac emplissait la salle déserte.
Puis il remontait lentement les rues. Les réverbères