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de cartes de visite et une écritoire, un coffret d’argent ciselé. C’était celui de Mme Arnoux ! Alors, il éprouva un attendrissement, et en même temps comme le scandale d’une profanation. Il avait envie d’y porter les mains, de l’ouvrir. Il eut peur d’être aperçu, et s’en alla.

Frédéric fut vertueux. Il ne retourna point chez Arnoux.

Il envoya son domestique acheter les deux nègres, lui ayant fait toutes les recommandations indispensables ; et la caisse partit, le soir même, pour Nogent. Le lendemain, comme il se rendait chez Deslauriers, au détour de la rue Vivienne et du boulevard, Mme Arnoux se montra devant lui, face à face.

Leur premier mouvement fut de reculer ; puis, le même sourire leur vint aux lèvres, et ils s’abordèrent. Pendant une minute, aucun des deux ne parla.

Le soleil l’entourait ; — et sa figure ovale, ses longs sourcils, son châle de dentelle noire, moulant la forme de ses épaules, sa robe de soie gorge-de-pigeon, le bouquet de violettes au coin de sa capote, tout lui parut d’une splendeur extraordinaire. Une suavité infinie s’épanchait de ses beaux yeux ; et, balbutiant, au hasard, les premières paroles venues :

— « Comment se porte Arnoux ? » dit Frédéric.

— « Je vous remercie. »

— « Et vos enfants ? »

— « Ils vont très bien. »

— « Ah !… ah… Quel beau temps nous avons, n’est-ce pas ? »

— « Magnifique, c’est vrai. »

— « Vous faites des courses ? »

— « Oui. »

Et avec une lente inclination de tête :

— « Adieu ! »

Elle ne lui avait pas tendu la main, n’avait pas dit un seul mot affectueux, ne l’avait même pas invité à venir