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Mme Arnoux. Elle était sa maîtresse ! Deslauriers n’en doutait pas. « Voilà une chose de plus à quoi sert l’argent ! » Des pensées haineuses l’envahirent.

Puis, il songea à la personne même de Frédéric. Elle avait toujours exercé sur lui un charme presque féminin ; et il arriva bientôt à l’admirer pour un succès dont il se reconnaissait incapable.

Cependant, est-ce que la volonté n’était pas l’élément capital des entreprises ? et, puisque avec elle on triomphe de tout…

— « Ah ! ce serait drôle ! »

Mais il eut honte de cette perfidie, et, une minute après :

— « Bah ! est-ce que j’ai peur ? »

Mme Arnoux (à force d’en entendre parler) avait fini par se peindre dans son imagination extraordinairement. La persistance de cet amour l’irritait comme un problème. Son austérité un peu théâtrale l’ennuyait maintenant. D’ailleurs, la femme du monde (ou ce qu’il jugeait telle) éblouissait l’avocat comme le symbole et le résumé de mille plaisirs inconnus. Pauvre, il convoitait le luxe sous sa forme la plus claire.

— « Après tout, quand il se fâcherait, tant pis ! Il s’est trop mal comporté envers moi, pour que je me gêne ! Rien ne m’assure qu’elle est sa maîtresse ! Il me l’a nié. Donc, je suis libre ! »

Le désir de cette démarche ne le quitta plus. C’était une épreuve de ses forces qu’il voulait faire ; — si bien qu’un jour, tout à coup, il vernit lui-même ses bottes, acheta des gants blancs, et se mit en route, se substituant à Frédéric et s’imaginant presque être lui, par une singulière évolution intellectuelle, où il y avait à la fois de la vengeance et de la sympathie, de l’imitation et de l’audace.

Il fit annoncer « le docteur Deslauriers. »

Mme Arnoux fut surprise, n’ayant réclamé aucun médecin.

«