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confondait avec le battement de ses artères ; ses pieds enfonçaient dans le sable ; il lui semblait qu’il était en train de marcher depuis un temps infini.

Les témoins, sans s’arrêter, fouillaient de l’œil les deux bords de la route. On délibéra si l’on irait à la croix Catelan ou sous les murs de Bagatelle. Enfin, on prit à droite ; et on s’arrêta dans une espèce de quinconce, entre des pins.

L’endroit fut choisi de manière à répartir également le niveau du terrain. On marqua les deux places où les adversaires devaient se poser. Puis Regimbart ouvrit sa boîte. Elle contenait, sur un capitonnage de basane rouge, quatre épées charmantes, creuses au milieu, avec des poignées garnies de filigrane. Un rayon lumineux, traversant les feuilles, tomba dessus ; et elles parurent à Cisy briller comme des vipères d’argent sur une mare de sang.

Le Citoyen fit voir qu’elles étaient de longueur pareille ; il prit la troisième pour lui-même, afin de séparer les combattants, en cas de besoin. M. de Comaing tenait une canne. Il y eut un silence. On se regarda. Toutes les figures avaient quelque chose d’effaré ou de cruel.

Frédéric avait mis bas sa redingote et son gilet. Joseph aida Cisy à faire de même ; sa cravate étant retirée, on aperçut à son cou une médaille bénite. Cela fit sourire de pitié Regimbart.

Alors, M. de Comaing (pour laisser à Frédéric encore un moment de réflexion) tâcha d’élever des chicanes. Il réclama le droit de mettre un gant, celui de saisir l’épée de son adversaire avec la main gauche ; Regimbart, qui était pressé, ne s’y refusa pas. Enfin le Baron, s’adressant à Frédéric :

— « Tout dépend de vous, Monsieur ! Il n’y a jamais de déshonneur à reconnaître ses fautes. »

Dussardier l’approuvait du geste. Le Citoyen s’indigna.