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truité et du glacé ; les autres, ne voulant pas avoir l’air de n’y rien comprendre, faisaient des signes d’approbation et achetaient.

Quand les chalands furent dehors, il conta qu’il avait eu, le matin, avec sa femme une petite altercation. Pour prévenir les observations sur la dépense, il avait affirmé que la Maréchale n’était plus sa maîtresse.

— « Je lui ai même dit que c’était la vôtre. »

Frédéric fut indigné ; mais des reproches pouvaient le trahir, il balbutia :

— « Ah ! vous avez eu tort, grand tort ! »

— « Qu’est-ce que ça fait ? », dit Arnoux. « Où est le déshonneur de passer pour son amant ? Je le suis bien, moi ! Ne seriez-vous pas flatté de l’être ? »

Avait-elle parlé ? Était-ce une allusion ? Frédéric se hâta de répondre :

— « Non ! pas du tout ! au contraire ! »

— « Eh bien, alors ? »

— « Oui, c’est vrai ! cela n’y fait rien. » Arnoux reprit :

— « Pourquoi ne venez-vous plus là-bas ? »

Frédéric promit d’y retourner.

— « Ah j’oubliais ! vous devriez…, en causant de Rosanette…, lâcher à ma femme quelque chose… je ne sais quoi, mais vous trouverez… quelque chose qui la persuade que vous êtes son amant. Je vous demande cela comme un service, hein ? »

Le jeune homme, pour toute réponse, fit une grimace ambiguë. Cette calomnie le perdait. Il alla le soir même chez elle, et jura que l’allégation d’Arnoux était fausse.

— « Bien vrai ? »

Il paraissait sincère ; et, quand elle eut respiré largement, elle lui dit : « Je vous crois, » avec un beau sourire ; puis elle baissa la tête, et, sans le regarder :

— « Au reste, personne n’a de droit sur vous ! »

Elle ne devinait donc rien, et elle le méprisait, puis-