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Le soir, il voulut dîner seul, avec elle, dans un cabinet particulier, à la Maison d’or. Mme Arnoux ne comprit rien à ce mouvement de cœur, s’offensant même d’être traitée en lorette ; — ce qui, de la part d’Arnoux, au contraire, était une preuve d’affection. Puis, comme il s’ennuyait, il alla se distraire chez la Maréchale.

Jusqu’à présent, on lui avait passé beaucoup de choses, grâce à son caractère bonhomme. Son procès le classa parmi les gens tarés. Une solitude se fit autour de sa maison.

Frédéric, par point d’honneur, crut devoir les fréquenter plus que jamais. Il loua une baignoire aux Italiens et les y conduisit chaque semaine. Cependant, ils en étaient à cette période où, dans les unions disparates, une invincible lassitude ressort des concessions que l’on s’est faites et rend l’existence intolérable. Mme Arnoux se retenait pour ne pas éclater, Arnoux s’assombrissait ; et le spectacle de ces deux êtres malheureux attristait Frédéric.

Elle l’avait chargé, puisqu’il possédait sa confiance, de s’enquérir de ses affaires. Mais il avait honte, il souffrait de prendre ses dîners en ambitionnant sa femme. Il continuait néanmoins, se donnant pour excuse qu’il devait la défendre, et qu’une occasion pouvait se présenter de lui être utile.

Huit jours après le bal, il avait fait une visite à M. Dambreuse. Le financier lui avait offert une vingtaine d’actions dans son entreprise de houilles ; Frédéric n’y était pas retourné. Deslauriers lui écrivait des lettres ; il les laissait sans réponse. Pellerin l’avait engagé à venir voir le portrait ; il l’éconduisait toujours. Il céda cependant à Cisy, qui l’obsédait pour faire la connaissance de Rosanette.

Elle le reçut fort gentiment, mais sans lui sauter au cou, comme autrefois. Son compagnon fut heureux d’être admis chez une impure, et surtout de causer avec un acteur ; Delmar se trouvait là.