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gazes noires superposées ; on entendait le tic-tac de la pendule avec la crépitation du feu.

Mme Arnoux venait de se rasseoir, à l’autre angle de la cheminée dans le fauteuil ; elle mordait ses lèvres en grelottant ; ses deux mains se levèrent, un sanglot lui échappa, elle pleurait.

Il se mit sur la petite chaise ; et, d’une voix caressante, comme on fait une personne malade :

— « Vous ne doutez pas que je ne partage… ? »

Elle ne répondit rien. Mais, continuant tout haut ses réflexions :

— « Je le laisse bien libre ! Il n’avait pas besoin de mentir ! »

— « Certainement », dit Frédéric.

C’était la conséquence de ses habitudes sans doute, il n’y avait pas songé, et peut-être que, dans des choses plus graves…

— « Que voyez-vous donc de plus grave ? »

— « Oh ! rien ! »

Frédéric s’inclina, avec un sourire d’obéissance. Arnoux néanmoins possédait certaines qualités ; il aimait ses enfants.

— « Ah ! et il fait tout pour les ruiner ! »

Cela venait de son humeur trop facile ; car, enfin, c’était un bon garçon.

Elle s’écria :

— « Mais qu’est-ce que cela veut dire, un bon garçon ! »

Il le défendait ainsi, de la manière la plus vague qu’il pouvait trouver, et, tout en la plaignant, il se réjouissait, se délectait au fond de l’âme. Par vengeance ou besoin d’affection, elle se réfugierait vers lui. Son espoir, démesurément accru, renforçait son amour.

Jamais elle ne lui avait paru si captivante, si profondément belle. De temps à autre, une aspiration soulevait sa poitrine ; ses deux yeux fixes semblaient dilatés par une vision intérieure, et sa bouche demeu-