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— « Moi ? »

— « Oui, toi-même ! au Persan ! »

— « Le cachemire ! » pensa Frédéric.

Il se sentait coupable et avait peur.

Elle ajouta, de suite :

— « C’était l’autre mois, un samedi, le 14. »

— « Ah ! ce jour-là, précisément, j’étais à Creil ! Ainsi, tu vois. »

— « Pas du tout ! Car nous avons dîné chez les Bertin, le 14. »

— « Le 14… ? » fit Arnoux, en levant les yeux comme pour chercher une date.

— « Et même, le commis qui t’a vendu était un blond ! »

— « Est-ce que je peux me rappeler le commis ! »

— « Il a cependant écrit, sous ta dictée, l’adresse : 18, rue de Laval. »

— « Comment sais-tu ? » dit Arnoux stupéfait.

Elle leva les épaules.

— « Oh ! c’est bien simple : j’ai été pour faire réparer mon cachemire, et un chef de rayon m’a appris qu’on venait d’en expédier un autre pareil chez Mme  Arnoux. »

— « Est-ce ma faute, à moi, s’il y a dans la même rue une dame Arnoux ? »

— « Oui ! mais pas Jacques Arnoux », reprit-elle.

Alors, il se mit à divaguer, protestant de son innocence. C’était une méprise, un hasard, une de ces choses inexplicables comme il en arrive. On ne devait pas condamner les gens sur de simples soupçons, des indices vagues ; et il cita l’exemple de l’infortuné Lesurques.

— « Enfin, j’affirme que tu te trompes ! Veux-tu que je t’en jure ma parole ? »

— « Ce n’est point la peine. »

— « Pourquoi ? »

Elle le regarda en face, sans rien dire ; puis allongea