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cher sur la terrasse. Les croisées dressaient au milieu des ténèbres de longues plaques rouges ; le bruit du bal s’affaiblissait les voitures commençaient à s’en aller.

— « Pourquoi donc », reprit M. Dambreuse, « tenez-vous au Conseil d’Etat ? »

Et il affirma, d’un ton de libéral, que les fonctions publiques ne menaient à rien, il en savait quelque chose ; les affaires valaient mieux. Frédéric objecta la difficulté de les apprendre.

— « Ah ! bah ! en peu de temps, je vous y mettrais. » Voulait-il l’associer à ses entreprises ?

Le jeune homme aperçut, comme dans un éclair, une immense fortune qui allait venir.

— « Rentrons », dit le banquier. « Vous soupez avec nous, n’est-ce pas ? »

Il était trois heures, on partait. Dans la salle à manger, une table servie attendait les intimes.

M. Dambreuse aperçut Martinon, et, s’approchant de sa femme, d’une voix basse :

— « C’est vous qui l’avez invité ? »

Elle répliqua sèchement :

— « Mais oui ! »

La nièce n’était pas là. On but très bien, on rit très haut ; et des plaisanteries hasardeuses ne choquèrent point, tous éprouvant cet allégement qui suit les contraintes un peu longues. Seul, Martinon se montra sérieux ; il refusa de boire du vin de Champagne par bon genre, souple d’ailleurs et fort poli, car M. Dambreuse, qui avait la poitrine étroite, se plaignant d’oppression, il s’informa de sa santé à plusieurs reprises ; puis il dirigeait ses yeux bleuâtres du côté de Mme Dambreuse.

Elle interpella Frédéric, pour savoir quelles jeunes personnes lui avaient plu. Il n’en avait remarqué aucune, et préférait, d’ailleurs, les femmes de trente ans.

— « Ce n’est peut-être pas bête ! » répondit-elle.