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et, sautant dans un cabriolet, s’enquit près du cocher s’il n’y avait point quelque part, sur les hauteurs de Sainte-Geneviève, un certain café Alexandre. Le cocher le conduisit rue des Francs-Bourgeois-Saint-Michel dans un établissement de ce nom-là, et à sa question : — « M. Regimbart, s’il vous plaît ? » le cafetier lui répondit, avec un sourire extra-gracieux :

— « Nous ne l’avons pas encore vu, monsieur », tandis qu’il jetait à son épouse assise dans le comptoir, un regard d’intelligence.

Et aussitôt se tournant vers l’horloge :

— « Mais nous l’aurons, j’espère, d’ici à dix minutes, un quart d’heure tout au plus. — Célestin, vite les feuilles ! — Qu’est-ce que monsieur désire prendre ? »

Quoique n’ayant besoin de rien prendre, Frédéric avala un verre de rhum, puis un verre de kirsch, puis un verre de curaçao, puis différents grogs, tant froids que chauds. Il lut tout le Siècle du jour, et le relut ; il examina, jusque dans les grains du papier, la caricature du Charivari ; à la fin, il savait par cœur les annonces. De temps à autre, des bottes résonnaient sur le trottoir, c’était lui ! et la forme de quelqu’un se profilait sur les carreaux ; mais cela passait toujours !

Afin de se désennuyer, Frédéric changeait de place ; il alla se mettre dans le fond, puis à droite, ensuite à gauche ; et il restait au milieu de la banquette, les deux bras étendus. Mais un chat, foulant délicatement le velours du dossier, lui faisait des peurs en bondissant tout à coup, pour lécher les taches de sirop sur le plateau ; et l’enfant de la maison, un intolérable mioche de quatre ans, jouait avec une crécelle sur les marches du comptoir. Sa maman, petite femme pâlotte, à dents gâtées souriait d’un air stupide. Que pouvait donc faire Regimbart ? Frédéric l’attendait, perdu dans une détresse illimitée.

La pluie sonnait comme grêle, sur la capote du cabriolet. Par l’écartement du rideau de mousseline, il