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par la naissance d’une fille, déclarée sous les noms d’Elisabeth-Olympe-Louise Roque.

Catherine, dans sa jalousie, s’attendait à exécrer cette enfant. Au contraire, elle l’aima. Elle l’entoura de soins, d’attentions et de caresses, pour supplanter sa mère et la rendre odieuse, entreprise facile, car Mme Eléonore négligeait complètement la petite, préférant bavarder chez les fournisseurs. Dès le lendemain de son mariage, elle alla faire une visite à la sous-préfecture, ne tutoya plus les servantes, et crut devoir, par bon ton, se montrer sévère pour son enfant. Elle assistait à ses leçons ; le professeur, un vieux bureaucrate de la mairie, ne savait pas s’y prendre. L’élève s’insurgeait, recevait des gifles, et allait pleurer sur les genoux de Catherine, qui lui donnait invariablement raison. Alors, les deux femmes se querellaient ; M. Roque les faisait taire. Il s’était marié par tendresse pour sa fille, et ne voulait pas qu’on la tourmentât.

Souvent elle portait une robe blanche en lambeaux avec un pantalon garni de dentelles ; et, aux grandes fêtes, sortait vêtue comme une princesse, afin de mortifier un peu les bourgeois, qui empêchaient leurs marmots de la fréquenter, vu sa naissance illégitime.

Elle vivait seule, dans son jardin, se balançait à l’escarpolette, courait après les papillons, puis tout à coup s’arrêtait à contempler les cétoines s’abattant sur les rosiers. C’étaient ces habitudes, sans doute, qui donnaient à sa figure une expression à la fois de hardiesse et de rêverie. Elle avait la taille de Marthe, d’ailleurs, si bien que Frédéric lui dit, dès leur seconde entrevue :

— « Voulez-vous me permettre de vous embrasser, mademoiselle ? »

La petite personne leva la tête, et répondit :

— « Je veux bien ! »

Mais la haie de bâtons les séparait l’un de l’autre.

— « Il faut monter dessus », dit Frédéric.

— « Non, enlève-moi ! »