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envoyées d’après les conseils du Clerc. Toutefois il confondait les époques, croyant que Frédéric était à sa seconde année de droit. Puis il l’envia de partir pour la campagne. Il aurait eu besoin de se reposer, mais les affaires le retenaient à Paris.

Mme Dambreuse, appuyée sur son bras, inclinait la tête, légèrement ; et l’aménité spirituelle de son visage contrastait avec son expression chagrine de tout à l’heure.

— « On y trouve pourtant de belles distractions ! » dit-elle, aux derniers mots de son mari. « Comme ce spectacle est bête ! n’est-ce pas, monsieur ? » Et tous trois restèrent debout, à causer théâtres et pièces nouvelles.

Frédéric, habitué aux grimaces des bourgeoises provinciales, n’avait vu chez aucune femme une pareille aisance de manières, cette simplicité, qui est un raffinement, et où les naïfs aperçoivent l’expression d’une sympathie instantanée.

On comptait sur lui, dès son retour ; M. Dambreuse le chargea de ses souvenirs pour le père Roque.

Frédéric ne manqua pas, en rentrant, de conter cet accueil à Deslauriers.

— « Fameux ! » reprit le Clerc, « et ne te laisse pas entortiller par ta maman ! Reviens tout de suite ! »

Le lendemain de son arrivée, après leur déjeuner, Mme Moreau emmena son fils dans le jardin.

Elle se dit heureuse de lui voir un état, car ils n’étaient pas aussi riches que l’on croyait ; la terre rapportait peu ; les fermiers payaient mal ; elle avait même été contrainte de vendre sa voiture. Enfin, elle lui exposa leur situation.

Dans les premiers embarras de son veuvage, un homme astucieux, M. Roque, lui avait fait des prêts d’argent, renouvelés, prolongés malgré elle. Il était venu les réclamer tout à coup ; et elle avait passé par ses conditions, en lui cédant à un prix dérisoire la ferme de Presles. Dix ans plus tard, son capital disparaissait