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leurs opinions contradictoires sur le résultat de l’examen. On le proclama bientôt d’une voix sonore, à l’entrée de la salle : « Le troisième était… ajourné ! »

— Emballé ! dit Hussonnet, allons-nous-en !

Devant la loge du concierge, ils rencontrèrent Martinon, rouge, ému, avec un sourire dans les yeux et l’auréole du triomphe sur le front. Il venait de subir sans encombre son dernier examen. Restait seulement la thèse. Avant quinze jours, il serait licencié. Sa famille connaissait un ministre, « une belle carrière » s’ouvrait devant lui.

— Celui-là t’enfonce tout de même, dit Deslauriers.

Rien n’est humiliant comme de voir les sots réussir dans les entreprises où l’on échoue. Frédéric, vexé, répondit qu’il s’en moquait. Ses prétentions étaient plus hautes ; et, comme Hussonnet faisait mine de s’en aller, il le prit à l’écart pour lui dire :

— Pas un mot de tout cela, chez eux, bien entendu !

Le secret était facile, puisque Arnoux, le lendemain, partait en voyage pour l’Allemagne.

Le soir, en rentrant, le clerc trouva son ami singulièrement changé : il pirouettait, sifflait ; et, l’autre s’étonnant de cette humeur, Frédéric déclara qu’il n’irait pas chez sa mère ; il emploierait ses vacances à travailler.

À la nouvelle du départ d’Arnoux, une joie l’avait saisi. Il pouvait se présenter là-bas, tout à son aise, sans crainte d’être interrompu dans ses visites. La conviction d’une sécurité absolue lui donnerait du courage. Enfin il ne serait pas éloi-