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— Cela se voit, dit à la fin Frédéric, impatienté.

Le répétiteur lui garda rancune pour cette parole.

Mais Regimbart ayant dit qu’il connaissait un peu Sénécal, Frédéric, voulant faire une politesse à l’ami d’Arnoux, le pria de venir aux réunions du samedi, et la rencontre fut agréable aux deux patriotes.

Ils différaient cependant.

Sénécal — qui avait un crâne en pointe — ne considérait que les systèmes. Regimbart, au contraire, ne voyait dans les faits que les faits. Ce qui l’inquiétait principalement, c’était la frontière du Rhin20. Il prétendait se connaître en artillerie, et se faisait habiller par le tailleur de l’École polytechnique.

Le premier jour, quand on lui offrit des gâteaux, il leva les épaules dédaigneusement, en disant que cela convenait aux femmes ; et il ne parut guère plus gracieux les fois suivantes. Du moment que les idées atteignaient une certaine hauteur, il murmurait : « Oh ! pas d’utopies, pas de rêves ! » En fait d’art (bien qu’il fréquentât les ateliers, où quelquefois il donnait, par complaisance, une leçon d’escrime), ses opinions n’étaient point transcendantes. Il comparait le style de M. Marrast à celui de Voltaire21 et Mlle Vatnaz à Mme de Staël, à cause d’une ode sur la Pologne, « où il y avait du cœur ». Enfin, Regimbart assommait tout le monde et particulièrement Deslauriers, car le Citoyen était un familier d’Arnoux. Or, le clerc ambitionnait de fréquenter cette maison, espérant y faire des connaissances