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— Oh ! oh ! si on lui offrait une bonne somme, il ne la refuserait pas pour servir de modèle.

Frédéric devint blême.

— Il vous a donc fait bien du tort, monsieur ?

— À moi ? non ! Je l’ai vu, une fois, au café, avec un ami. Voilà tout.

Sénécal disait vrai. Mais il se trouvait agacé, quotidiennement, par les réclames de l’Art industriel. Arnoux était, pour lui, le représentant d’un monde qu’il jugeait funeste à la démocratie. Républicain austère, il suspectait de corruption toutes les élégances, n’ayant d’ailleurs aucun besoin, et étant d’une probité inflexible.

La conversation eut peine à reprendre. Le peintre se rappela bientôt son rendez-vous, le répétiteur ses élèves ; et, quand ils furent sortis, après un long silence, Deslauriers fit différentes questions sur Arnoux.

— Tu m’y présenteras plus tard, n’est-ce pas, mon vieux ?

— Certainement, dit Frédéric.

Puis ils avisèrent à leur installation. Deslauriers avait obtenu, sans peine, une place de second clerc chez un avoué, pris à l’École de droit son inscription, acheté les livres indispensables ; et la vie qu’ils avaient tant rêvée commença.

Elle fut charmante, grâce à la beauté de leur jeunesse. Deslauriers n’ayant parlé d’aucune convention pécuniaire, Frédéric n’en parla pas. Il subvenait à toutes les dépenses, rangeait l’armoire, s’occupait du ménage ; mais, s’il fallait donner une mercuriale au concierge, le clerc s’en chargeait, continuant, comme au collège, son rôle de protecteur et d’aîné.