Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/703

Cette page a été validée par deux contributeurs.

drame, dans le roman, exprima si tumultueusement toutes les ardeurs de la passion. Le personnage de M. Flaubert est entré dans la vie au moment où cette période achevait son cours, il en a recueilli les traditions sans le savoir, il en a respiré l’air fiévreux, et son histoire n’est que le tableau des faiblesses, des gaucheries, des vilenies où cette sensibilité énervante l’a entraîné. Que cette donnée soit juste ou non au point de vue historique, elle pouvait offrir le sujet d’une curieuse étude ; seulement l’auteur en a fait sortir précisément le contraire de ce qu’elle renferme. Au lieu de travailler à l’éducation sentimentale du héros, il montre que cette éducation est une chimère. Au lieu d’élever ce cœur, de l’épurer et de l’affermir, il le dégrade : c’est une éducation à rebours. Ce titre à la Berquin serait donc en définitive une ironie très compliquée dont le sens ne se dévoilerait qu’à la dernière page, et qui aurait pour but de rendre plus scandaleux encore le scandale de la conclusion.

… Avions-nous tort de dire que l’inspiration de M. G. Flaubert était la misanthropie, ou, pour parler avec plus de précision, le pessimisme universel ? Ses amis répondent que le talent rachète tout, et que c’est l’art ici qu’il faut voir, la sûreté de l’art, la vigueur du style, sans se préoccuper du fond. Nous ne sommes pas de cet avis. D’abord, sans méconnaître les qualités qui font de M. Flaubert un écrivain d’une certaine originalité, nous n’admirons sans réserves ni son art ni son style. Qu’est-ce qu’un art dont le résultat est de supprimer la composition, de rendre l’unité impossible, de substituer une série d’esquisses à un tableau ? Quant à la diction, elle est le plus souvent précise, colorée, vigoureuse, il lui arrive quelquefois d’être brutale et incorrecte. Oui, certes, M. Flaubert est un artiste, il sait peindre, il sait graver à l’eau-forte, il a des touches puissantes qui font saillir en plein relief certains aspects de la réalité ; mais il écrit bien comme ceux qui possèdent le don du style sans en connaître suffisamment les lois. Au reste ce talent d’écrire fût-il irréprochable, serait-ce une raison pour absoudre un livre qui blesserait l’humanité ?…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quand l’auteur décrit les clubs de 1848, bien qu’il n’oublie aucun des traits de la démence populaire, bien qu’il rassemble avec soin les billevesées les plus comiques, on n’est guère disposé à sourire ; il y a dans tout cela une impassibilité méprisante qui est vraiment une insulte, non pas à la populace des rues, mais au genre humain. Bref, tout est combiné en vue de la brutale ironie qui doit couronner l’œuvre…

Le satirique le plus amer, en dévoilant les misères de l’homme, a en lui l’idéal d’une humanité meilleure ; la satire misanthropique et inhumaine est un acte contre nature, un cas illogique et monstrueux.