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pour Pellerin. Arnoux l’aimait, tout en l’exploitant. D’ailleurs, il redoutait sa terrible langue, si bien que, pour l’attendrir, il avait publié dans l’Art industriel son portrait accompagné d’éloges hyperboliques ; et Pellerin, plus sensible à la gloire qu’à l’argent, apparut vers huit heures, tout essoufflé. Frédéric s’imagina qu’ils étaient réconciliés depuis longtemps.

La compagnie, les mets, tout lui plaisait. La salle, telle qu’un parloir moyen âge, était tendue de cuir battu ; une étagère hollandaise se dressait devant un râtelier de chibouques ; et, autour de la table, les verres de Bohême, diversement colorés, faisaient au milieu des fleurs et des fruits comme une illumination dans un jardin.

Il eut à choisir entre dix espèces de moutarde. Il mangea du daspachio, du cari, du gingembre, des merles de Corse, des lasagnes romaines ; il but des vins extraordinaires, du lip-fraoli et du tokay. Arnoux se piquait effectivement de bien recevoir. Il courtisait en vue des comestibles tous les conducteurs de malle-poste, et il était lié avec des cuisiniers de grandes maisons qui lui communiquaient des sauces.

Mais la causerie surtout amusait Frédéric. Son goût pour les voyages fut caressé par Dittmer, qui parla de l’Orient ; il assouvit sa curiosité des choses du théâtre en écoutant Rosenwald causer de l’Opéra ; et l’existence atroce de la bohème lui parut drôle, à travers la gaieté d’Hussonnet, lequel narra, d’une manière pittoresque, comment il avait passé tout un hiver, n’ayant pour nourriture que du fromage de Hollande. Puis, une discussion entre Lovarias et Burrieu, sur l’école