qui se rassemblent sans se joindre, de pièces de rapport qui ne s’emboîtent pas, d’événements sans cause et sans issue. C’est comme une succession de générations spontanées dont l’origine ne se voit pas, dont le lieu n’est nulle part. Satire, ai-je dit, au sens même que les anciens attachaient à ce mot, une sorte de pot-pourri d’éléments de toutes sortes (farrago) tel que le plus grand des satiriques l’a défini lui-même, au début de son œuvre si diverse par le sujet, si puissante par son génie, et pour tout dire, grande comme son âme. Ah ! l’âme ! tout est là. Il faut la mettre dans son œuvre, l’œuvre fût-elle aussi terrible que l’Enfer de Dante. On peut être un très galant homme, comme M. Flaubert, une âme honnête, un cœur loyal et garder tout cela pour soi.
… Le livre se donne une carrière de dix ans, à travers les révolutions et les émeutes ; il hante tous les étages de la société, depuis la mansarde de l’étudiant jusqu’au boudoir de la grande dame, depuis le bal de barrière jusqu’aux fêtes brillantes du banquier anobli ; il touche à tout, à l’art, à la littérature, à la politique, aux partis, à tous les drapeaux, à toutes les cocardes. Il touche à tout et il flétrit tout. Il a la rage d’abaisser ce qui s’élève, d’éteindre ce qui brille, la science, le talent, le patriotisme, l’indépendance, la noblesse, la pudeur, la fortune bien acquise, l’élégance courtoise, les grandes vertus comme les petites.
Le livre de M. Flaubert est la confusion des genres ; il veut être un roman, il est une satire. Qu’importe, me dira-t-on. Est-ce qu’il y a des genres aujourd’hui ? On a laissé à la comédie son nom ; quelques œuvres d’élite exceptées, qu’en a-t-elle fait ? Drame, satire, thèse philosophique, mémoire sur procès, émotion physiologique, farce et pantalonnade, elle fait un peu de tout et elle étudie nos mœurs quand elle en a le temps, elle nous fait rire quand elle le peut…
Prenez le livre de M. Flaubert. Son héros n’est ni un enfant trouvé, ni une nature malhonnête, ni un esprit sans culture ; sa famille est honorable, son extérieur distingué. Le livre n’est pas arrivé à son premier quart que notre jeune homme hérite d’une belle fortune, et a entrevu à peine Mme Sophie Arnoux qu’il prend feu pour elle, en véritable écolier, et qu’elle se laisse attirer à la flamme, sans y prendre garde. Tous ces débuts ont bien l’air de nous mener à un roman. Allons donc ! M. Flaubert a bien d’autres visées. Il lui faut peindre la société parisienne pendant dix années de sa vie morale, entre le traité de juillet 1840 et le Coup d’État.
Entre 1840 et 1851, la France a une physionomie qui avait besoin d’être saisie au vif et reproduite en relief. M. Flaubert s’est dit que c’était affaire à lui. Il a pris ses pinceaux, sa palette