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que n’aurais-je pas fait ! Il avait beau regimber, s’irriter, m’appeler Lhomond, Boiste, Noël et Chapsal, me traiter de pion et de grammairien détraqué, il s’attendrissait, avait les larmes aux yeux et éclatait de rire quand je lui disais : « Au nom de ta gloire, respecte la règle des possessifs ! » Il prétendait, il a toujours prétendu que l’écrivain est libre, selon les exigences de son style, d’accepter ou de rejeter les prescriptions grammaticales qui régissent la langue française, et que les seules lois auxquelles il faut se soumettre sont les lois de l’harmonie. Ainsi il n’eût pas hésité à dire : Je voudrais que vous alliez, au lieu de : je voudrais que vous allassiez, parce que l’imparfait du subjonctif est d’une tonalité déplaisante. — Du reste George Sand était ainsi. — Là-dessus nous discutions sans désemparer. Un soir, nous avions travaillé, — c’était le mot de Flaubert, — jusqu’à une heure du matin. Vers trois heures, je fus réveillé par un effroyable vacarme à ma porte : coups de sonnette et coups de pied ; je me lève tout effaré, je vais ouvrir. Sur le palier, Flaubert me crie : « Oui, vieux pédagogue, l’accord des temps est une ineptie, j’ai le droit de dire : Je voudrais que la grammaire soit à tous les diables et non pas : fût, entends-tu ? » Puis il dégringola les escaliers sans même attendre ma réponse. Il disait que le style et la grammaire sont choses différentes ; il citait les plus grands écrivains, qui presque tous ont été incorrects, et faisait remarquer que nul grammairien n’a jamais su écrire. Sur ces points nous étions du même avis, car son opinion s’appuyait sur de tels exemples qu’elle est indiscutable. »

Comme de tous les manuscrits de Flaubert, il fut fait une copie du manuscrit définitif qui servit à l’impression. Flaubert la revit, elle ne comporte que très peu de corrections. Cette copie forme 654 feuillets enfermés également dans un dossier sur lequel Flaubert a écrit :

L’ÉDUCATION SENTIMENTALE.
HISTOIRE D’UN JEUNE HOMME.
Gustave Flaubert.

L’Éducation sentimentale parut en librairie le 16 novembre 1869, chez Calmann-Lévy, en 2 volumes in-8o. Peu apprécié par la presse, qui fut rigoureuse, accueilli froidement par le public, qui ne le comprit pas, le livre n’eut pas de retentissement et Flaubert en fut irrité.

Nous donnons plus loin quelques-uns des articles principaux consacrés à l’Éducation sentimentale, en même temps que l’opinion personnelle de quelques personnalités littéraires de l’époque.