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chait à Guizot de marcher d’accord avec l’Autriche réactionnaire contre la Prusse constitutionnelle et l’Italie libérale[1].

Nous retrouvons dans l’Éducation sentimentale un écho de ces accusations. Deslauriers reproche à Guizot d’être « à la remorque de l’Autrichien »[2].

Au reste, Guizot ne tarde pas à disparaître, avec Louis-Philippe, derrière les barricades de Février. Ce jour-là, Dussardier, qui a fait le coup de feu, ne borne pas sa joie à l’avènement de la République Française, il salue l’affranchissement de l’Europe entière[3].

Et l’on put se demander un instant s’il n’avait pas raison ; la Révolution était partout. Frédéric Moreau en frémissait d’enthousiasme : « Il lui sembla qu’une aurore magnifique allait se lever. Rome, Vienne, Berlin étaient en insurrection, les Autrichiens chassés de Venise, toute l’Europe s’agitait »[4]

En 1851, ce sont des déceptions et des découragements que Dussardier confie à Frédéric. Il ne se lamente pas seulement sur l’écrasement des républicains et le triomphe de la réaction en France, mais sur « la pauvre Pologne », « la pauvre Venise », « la pauvre Hongrie »[5]. Écœuré, désespéré, il va se faire tuer, lors du coup d’État du 2 décembre, devant Tortoni[6].

… Le Prince, qui arrivait au pouvoir ce jour-là, devait s’inspirer des idées de Dussardier en politique extérieure. Le résultat, nous le connaissons ! Le réveil lamentable après le rêve magnifique ; un échec dans l’ordre politique comparable à l’échec des personnages de l’Éducation dans l’ordre individuel.

Le peuple, qui incarnait avec tant d’héroïsme la nationalité opprimée, la Pologne, est resté dans les fers. La nation de proie par excellence, la Prusse, a réussi à former autour d’elle la nationalité allemande. Et tout cela, grâce aux « aberrations » de la politique extérieure, de l’Empire, pour employer l’expression d’un écrivain bonapartiste[7].

Napoléon III avait eu dans sa jeunesse les aspirations de Dussardier. Carbonaro, il avait rêvé l’affranchissement de l’Italie ; empereur, il voulut la réaliser. C’était déjà une incompréhension excessive des intérêts français : « À ne considérer que les intérêts égoïstes, la formation du royaume d’Italie fut désavantageuse pour la France. En effet, malgré la cession de la Savoie et de Nice, la sécurité sur la frontière du Sud-Est n’est plus aujourd’hui aussi grande qu’avant 1860, au temps de l’Italie morcelée. Il a

  1. Thureau-Dangin, t. VII, p. 171.
  2. L’Éducation sentimentale, p. 377.
  3. Idem, p. 419.
  4. Idem, p. 427.
  5. Idem, p. 571.
  6. Idem, p. 539.
  7. Jules Delafosse. Revue hebdomadaire, 19 février 1910, p. 331.