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encore faut-il connaître la correspondance ; la seule lecture de cette tirade n’indique pas que Flaubert ait voulu faire sien le programme exposé par un personnage somme toute désagréable.

Une chose le disposait à juger sévèrement le gouvernement et la société de la Monarchie de Juillet, c’était son hostilité à l’égard de tout ce qui était bourgeois. « … Car il avait la haine du « bourgeois » et employait constamment ce terme, mais dans sa bouche il était synonyme d’être médiocre, envieux, ne vivant que d’apparence de vertu et insultant toute grandeur et toute beauté »[1].

La personne de Louis-Philippe était plutôt antipathique à Flaubert, si nous en croyons cette anecdote racontée par lui-même à sa sœur (26 juillet 1842) : « Voilà qu’on s’avise de parler de Louis-Philippe et que je déblatère contre lui à propos du musée de Versailles. Figure-toi, en effet, que ce porc-là, trouvant qu’un tableau de Gros n’était pas assez grand pour remplir un panneau de muraille, a imaginé d’arracher un côté du cadre et de faire ajouter deux ou trois pieds de toile peinte par un artiste quelconque. Je voudrais voir la mine de cet artiste-là. Donc, M. et Mme D***, qui sont philippistes enragés, qui vont à la cour et qui, conséquemment, comme Mme de Sévigné après avoir dansé avec Louis XIV, disent : Quel grand roi ! ont été très choqués de la manière dont je traitais celui-ci. Mais tu sais que plus j’indigne les bourgeois, plus je suis content, ainsi j’ai été très satisfait de ma soirée, ils m’auront sans doute pris pour un légitimiste, parce que je me suis également « gaudy » sur le compte des hommes de l’opposition »[2].

Le personnage de l’Éducation qui symbolise la bourgeoisie orléaniste est M. Dambreuse. Flaubert le campe ainsi moitié homme d’affaires, moitié politicien (il fait penser à plus d’un personnage connu de la Monarchie de Juillet) : « M. Dambreuse s’appelait de son vrai nom le comte d’Ambreuse ; mais, dès 1825, abandonnant peu à peu sa noblesse et son parti, il s’était tourné vers l’industrie ; et, l’oreille dans tous les bureaux, la main dans toutes les entreprises, à l’affût des bonnes occasions, subtil comme un Grec et laborieux comme un Auvergnat, il avait amassé une fortune que l’on disait considérable ; de plus, il était officier de la Légion d’honneur, membre du Conseil général de l’Aube, député, pair de France un de ces jours ; complaisant du reste, il fatiguait le ministre par ses demandes continuelles de secours, de croix, de bureaux de tabac ; et, dans ses bouderies contre le pouvoir, il inclinait au centre gauche »[3].

Parfois Flaubert laisse couler sa haine et son mépris à pleins

  1. Caroline Commanville. Souvenirs sur Gustave Flaubert, p. 23.
  2. Correspondance, 1re série.
  3. L’Éducation sentimentale, p. 26 et 27.