le voisin ressemblant. C’est à vous de conclure et de vous demander si notre époque est effectivement médiocre, ridicule et condamnée à l’éternel avortement de ses aspirations »[1].
Et en réalité l’opinion de George Sand n’était pas aussi favorable qu’elle voulait bien le dire aux lecteurs de la Liberté. Elle ne s’en cachait pas à Flaubert :
« Il n’est pas inutile, lui écrivait-elle le 9 janvier 1870, de savoir l’opinion des bonnes gens et des jeunes gens. Les jeunes disent que l’Éducation sentimentale les a rendus tristes.
« Ils ne s’y sont pas reconnus, eux qui n’ont pas encore vécu, mais ils ont des illusions et disent : « Pourquoi cet homme si bon, si aimable, si gai, si simple, si sympathique, veut-il nous décourager de vivre ». C’est mal raisonné, ce qu’ils disent, mais comme c’est instinctif, il faut peut-être en tenir compte[2]. »
Cinq années plus tard (19 décembre 1875) George Sand revenait encore sur ce sujet ; elle reprochait au roman le manque d’action des personnages sur eux-mêmes : « On est homme avant tout. On veut trouver l’homme au fond de toute histoire et de tout fait. Ç’a été le défaut de l’Éducation sentimentale, à laquelle j’ai tant réfléchi depuis, me demandant pourquoi tant d’humeur contre un ouvrage si bien fait et si solide. Ce défaut, c’était l’absence d’action des personnages sur eux-mêmes. Ils subissent les faits et ne s’en emparent jamais »[3].
Rappelons pour mémoire les violentes attaques de Barbey d’Aurevilly qui peuvent se résumer dans cette phrase : « Je dis enfin qu’il n’y a plus à s’occuper de Flaubert qu’au seul cas où il changerait de système et de manière, et il n’en changera pas »[4].
Depuis, la critique a été plus favorable. M. Faguet, sans se ranger au nombre de ceux qu’il appelle « les fanatiques de l’Éducation », a reconnu que « si Flaubert n’avait pas écrit Madame Bovary, il aurait cependant son chef-d’œuvre. Il faut bien qu’un auteur en ait un. Et je ne crois pas que ce fût Salammbô, et je crois que ce serait l’Éducation »[5].
Flaubert eut toujours un faible pour cet ouvrage. Il en était même arrivé à regretter Madame Bovary, que l’on accolait toujours à son nom. « Un jour, raconte Maxime Du Camp, il (Flaubert) me dit : « Je voudrais faire un coup de bourse et gagner une grosse somme. Pourquoi ? Pour racheter, n’importe à