Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/593

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Cela t’étonne ! Tu me croyais aveugle parce que je fermais les yeux. J’en ai assez, aujourd’hui ! On ne meurt pas pour les trahisons d’une femme de ton espèce. Quand elles deviennent trop monstrueuses, on s’en écarte ; ce serait se dégrader que de les punir !

Elle se tordait les bras.

— Mon Dieu, qu’est-ce donc qui l’a changé ?

— Pas d’autres que toi-même !

— Et tout cela, pour Mme  Arnoux !… s’écria Rosanette en pleurant.

Il reprit froidement :

— Je n’ai jamais aimé qu’elle !

À cette insulte, ses larmes s’arrêtèrent.

— Ça prouve ton bon goût ! Une personne d’un âge mûr, le teint couleur de réglisse, la taille épaisse, des yeux grands comme des soupiraux de cave, et vides comme eux ! Puisque ça te plaît, va la rejoindre

— C’est ce que j’attendais ! Merci !

Rosanette demeura immobile, stupéfiée par ces façons extraordinaires. Elle laissa même la porte se refermer ; puis, d’un bond, elle le rattrapa dans l’antichambre, et, l’entourant de ses bras :

— Mais tu es fou ! tu es fou ! c’est absurde ! je t’aime !

Elle le suppliait :

— Mon Dieu, au nom de notre petit enfant !

— Avoue que c’est toi qui as fait le coup ! dit Frédéric.

Elle protesta encore de son innocence.

— Tu ne veux pas avouer ?

— Non !

— Eh bien, adieu ! et pour toujours !