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— Comment ! Ah ! non ! — non !…

— Je savais bien que je vous blesserais, répliqua Dussardier, avec une larme au bord des yeux.

Frédéric lui serra la main ; et le brave garçon reprit d’une voix dolente : « Acceptez-les ! Faites-moi ce plaisir-là ! Je suis tellement désespéré ! Est-ce que tout n’est pas fini, d’ailleurs ? J’avais cru, quand la révolution est arrivée, qu’on serait heureux. Vous rappelez-vous comme c’était beau ! comme on respirait bien ! Mais nous voilà retombés pire que jamais.

Et, fixant ses yeux à terre :

— Maintenant, ils tuent notre République133, comme ils ont tué l’autre, la romaine ! et la pauvre Venise134, la pauvre Pologne135, la pauvre Hongrie136 ! Quelles abominations ! D’abord, on a abattu les arbres de la Liberté137, puis restreint le droit de suffrage138, fermé les clubs139, rétabli la censure140 et livré l’enseignement aux prêtres141, en attendant l’Inquisition. Pourquoi pas ? Des conservateurs nous souhaitent bien les Cosaques142 ! On condamne les journaux quand ils parlent contre la peine de mort, Paris regorge de baïonnettes, seize départements sont en état de siège et l’amnistie qui est encore une fois repoussée !

Il se prit le front à deux mains ; puis, écartant les bras comme dans une grande détresse :

— Si on tâchait, cependant ! Si on était de bonne foi, on pourrait s’entendre ! Mais non ! Les ouvriers ne valent pas mieux que les bourgeois, voyez-vous ! À Elbeuf, dernièrement, ils ont refusé leurs secours dans un incendie. Des misérables traitent Barbès d’aristocrate ! Pour qu’on se