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avait enlevé sa place pour se mettre auprès de Cécile, Frédéric se trouvait à côté de Mme Arnoux.

Elle portait une robe de barège noir, un cercle d’or au poignet, et, comme le premier jour où il avait dîné chez elle, quelque chose de rouge dans les cheveux, une branche de fuchsia entortillée à son chignon. Il ne put s’empêcher de lui dire :

— Voilà longtemps que nous ne nous sommes vus !

— Ah ! répliqua-t-elle froidement.

Il reprit, avec une douceur dans la voix qui atténuait l’impertinence de sa question :

— Avez-vous quelquefois pensé à moi ?

— Pourquoi y penserais-je ?

Frédéric fut blessé par ce mot.

— Vous avez peut-être raison, après tout.

Mais, se repentant vite, il jura qu’il n’avait pas vécu un seul jour sans être ravagé par son souvenir.

— Je n’en crois absolument rien, monsieur.

— Cependant, vous savez que je vous aime !

Mme Arnoux ne répondit pas.

— Vous savez que je vous aime.

Elle se taisait toujours.

« Eh bien, va te promener ! » se dit Frédéric.

Et, levant les yeux, il aperçut, à l’autre bout de la table, Mlle Roque.

Elle avait cru coquet de s’habiller tout en vert, couleur qui jurait grossièrement avec le ton de ses cheveux rouges. Sa boucle de ceinture était trop haute, sa collerette l’engonçait ; ce peu d’élégance avait contribué sans doute au froid abord de Frédéric. Elle l’observait de loin, curieusement ; et